Une naissance et non un enterrement

Bern, 10.11.2017 - Discours de la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga lors de la dénonciation de l’Accord du 25 mars 1994 à Moutier. La parole prononcée fait foi.

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Messieurs les conseillers fédéraux,
Madame et Messieurs les membres des gouvernements bernois et jurassien,
Monsieur le Président de l'Assemblée interjurassienne,
Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée interjurassienne,
Mesdames et Messieurs, 

Introduction

Le choix des termes n'est pas innocent : on a parlé du "conflit jurassien", de la "question jurassienne", du "dossier jurassien".

Trois termes qui, dans cet ordre, vont decrescendo. Trois termes qui illustrent bien une marche vers l'apaisement.

Bien sûr, aujourd'hui, nous pouvons à juste titre célébrer la paix confédérale.

Nous devons rappeler les vertus du dialogue.

Nous pouvons nous féliciter de ce que, une fois de plus, nos institutions démocratiques aient su donner une, et même plusieurs réponses, à la question jurassienne.

Car la question jurassienne a été l'un des conflits identitaires majeurs qu'a connus la Suisse moderne, après la guerre du Sonderbund.

Il avait certes une portée géographique bien plus limitée, mais il touchait à des valeurs essentielles de notre culture nationale : la langue, la religion, l'histoire, l'identité culturelle.

Les plébiscites ayant permis la création du canton du Jura dans les années septante n'avaient pas constitué, pour certains, une réponse définitive à la question jurassienne.

L'Accord du 25 mars 1994 entre les gouvernements bernois et jurassien et le Conseil fédéral a donc concrétisé la volonté de donner une réponse par le dialogue.

Notre Constitution fédérale rappelle aussi, à son article 44, alinéa 3, que les différends entre cantons doivent, autant que possible, être "réglés par la négociation ou par la médiation".

Les remerciements

Il aura fallu plus de 23 ans pour qu'aujourd'hui, nous considérions que la réponse est donnée.

Et que cette réponse est définitive, pour autant que ce qualificatif ait un sens au regard de l'Histoire.

Le dialogue a été d'abord celui de deux gouvernements cantonaux.

Je tiens ici à remercier en premier lieu les membres des gouvernements bernois et jurassien qui ont eu le courage politique de faire des concessions ; sans concessions réciproques, pas de compromis.

Ce dialogue a été accompagné par la Confédération.

C'est le Conseiller fédéral Arnold Koller qui, le 25 mars 1994, signait l'Accord au nom du Conseil fédéral.

Je suis heureuse qu'il soit présent aujourd'hui.

Depuis 1994, mes prédécesseurs à la tête du Département fédéral de justice et police ont permis un dialogue ouvert et constructif dans le cadre des nombreuses Conférences tripartites Jura : qu'ils soient eux aussi remerciés.

Les Conférences tripartites ont permis des négociations délicates ; mais surtout, elles ont permis aux deux gouvernements d'échanger leurs points de vue et de se parler sans détours, en toute confidentialité.

Mais, sur cette terre jurassienne, le dialogue a été le fait de l'Assemblée interjurassienne.

Institution unique en son genre, elle a su donner du temps au dialogue.

Elle a su dégager les synergies entre le canton du Jura et le Jura bernois.

Elle a suggéré des réponses, que les gouvernements bernois et jurassien ont entérinées.

Sans l'AIJ, il n'y aurait certainement pas eu de votations en 2013 et 2017.

Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée interjurassienne, vous êtes les héros du jour !

Votre institution disparaît, mais elle laisse une région apaisée.

Certes, on a pu lire et entendre que nous célébrions aujourd'hui un enterrement.

Ce terme est peut-être inévitable compte tenu du contexte.

Mais je préfère évoquer la vie et la naissance.

Vous avez fait vivre le dialogue interjurassien pendant presque un quart de siècle.

Et vous avez rempli votre mandat : ce dialogue a fait naître des réalisations concrètes.

Il a démontré la vitalité de la culture du dialogue politique en Suisse.

Ainsi, le prix 2017 du fédéralisme qui vient de vous être attribué est largement mérité.

Vous avez démontré la capacité du fédéralisme suisse à résoudre par le dialogue des questions institutionnelles.

Permettez-moi enfin d'évoquer les quatre figures politiques nommées par le Conseil fédéral qui ont présidé à vos travaux.
M. le conseiller fédéral René Felber, qui a accepté de faire œuvre de pionnier en devenant le premier président de votre institution.

Le regretté conseiller national Jean-François Leuba a ensuite donné à vos travaux une nouvelle envergure et une nouvelle visibilité.

Puis M. Serge Sierro a fait aboutir votre réflexion sur l'avenir institutionnel de la région jurassienne.

Enfin, je souhaiterais tout particulièrement remercier le maître de cérémonie de ce jour: M. Dick Marty.

Pratiquement depuis mon entrée au Conseil fédéral, il a présidé l'AIJ et a été un interlocuteur privilégié.

Dick Marty a accompagné les phases délicates des scrutins de 2013 et 2017.

Je le connais depuis longtemps comme un homme qui ne craint pas de parler franchement, mais qui aussi choisit ses mots avec respect pour ses interlocuteurs.

Il a mis au service de l'AIJ sa vaste expérience, sa sensibilité, sa capacité à concilier.

Pour ses qualités de négociateur et de pacificateur, je tiens à le remercier et à le féliciter spécialement.

Le bilan

Nous allons donc dans quelques instants dénoncer "l'Accord du 25 mars 1994 [sur l'institutionnalisation du dialogue interjurassien et la création de l'Assemblée interjurassienne]".

Sur le plan institutionnel, la question jurassienne est désormais considérée comme réglée.

Certes, le vote du 18 juin 2017 à Moutier fait encore l'objet de plusieurs recours.

Certes, il reste à finaliser le transfert de Moutier au canton du Jura.

La Confédération reste encore à disposition des gouvernements bernois et jurassien et son rôle de médiation n'est pas encore achevé.

Des conférences tripartites pourront continuer à être organisées si les circonstances l'exigent, à la demande des gouvernements bernois et jurassien.

Tout ceci néanmoins pourra se faire indépendamment de l'Accord du 25 mars 1994.

Conclusion

L'histoire qui s'achève aujourd'hui avait commencé bien avant le 25 mars 1994. Cette histoire a ses parts d'ombre.

Elle a été parfois ternie, jusqu'au début des années 1990 en tout cas, par des actes de violence, par des propos haineux et parfois même racistes.

Il y avait bien conflit et non seulement question.

Ou question à laquelle on apportait de mauvaises réponses... ou même pas de réponses du tout, ce qui est encore pire. La Catalogne nous le rappelle...

La Suisse a connu des heures parmi les plus sombres de son histoire, avec des actes qu'on qualifierait aujourd'hui de terroristes.
Le dernier en date, en janvier 1993, causait la mort d'un militant du groupe Bélier, tué par la bombe qu'il voulait faire exploser dans la vieille ville de Berne.

Janvier 1993, c'est à peine plus d'une année seulement avant la signature de l'Accord que nous dénonçons aujourd'hui.
Avec le recul, on mesure comme le climat a changé.

Les votations de 2013 et 2017, comme les campagnes qui les ont précédés, se sont déroulés globalement de manière digne et responsable.

Ces scrutins ont certes fait l'objet d'une surveillance fédérale, mais ils n'ont suscité aucune violence, aucune déprédation. Que de chemin parcouru depuis les plébiscites des années septante...

Mesdames et Messieurs les membres de l'AIJ, Mesdames et Messieurs les membres des autorités cantonales et vous, habitantes et habitants du canton du Jura et du Jura bernois :

Vous arrivez au terme d'une histoire parfois difficile et douloureuse. Vous avez pourtant su faire preuve de courage et d'ouverture. Vous avez eu la volonté de clore un chapitre de notre histoire nationale.

Vos efforts, vos concessions, votre volonté de réussir ont porté leurs fruits.

Il subsiste peut-être aujourd'hui encore, de part et d'autre, des déceptions, des rancœurs même.

Mais cette région que vous aimez mérite mieux que d'être l'otage d'un conflit politique dépassé.

La région jurassienne est maintenant une région apaisée.

Elle a trouvé les réponses institutionnelles à ses questions identitaires. Elle va maintenant poursuivre son histoire.

Que cette histoire, après avoir été celle du conflit, puis du dialogue, soit celle de la réconciliation. Le dossier est clos !


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