Madame la conseillère fédérale, comment vous sentez-vous dans ce nouveau gouvernement et avec le spectre des élections de 2011?
Que vous le croyiez ou non, ma réélection en 2011 n’est pas un souci pour moi. J’ai été élue dans des circonstances particulières en 2007 et il m’a toujours paru clair que j’étais, comme tous les membres du Conseil fédéral, élue pour une législature. Je ne me suis jamais préoccupée de la suite et je peux très bien vivre avec cette incertitude. Quant aux attaques et aux commentaires dont je fais l’objet, ils sont assez désagréables, car on s’est fait une image de moi sans me connaître vraiment.
Sachant que votre réélection n’est pas assurée en 2011, était-il raisonnable de changer de département?
Nous avons discuté de la situation au Conseil fédéral. La question aurait été légitime si je n’avais jamais travaillé dans le domaine des finances, mais ce n’est pas le cas. J’ai été vice-présidente du Conseil de banque de la BNS, ministre des Finances du canton des Grisons et j’ai remplacé M. Merz quand il était malade, donc je connais ce travail. Aux Finances, je peux être rapidement efficace, alors qu’au DETEC j’aurais besoin de plus de temps pour me mettre au courant.
Après avoir été conseillère fédérale UDC, puis conseillère fédérale PBD, pourriez-vous être bientôt une conseillère fédérale PDC?
Aux élections fédérales de 2011, les membres de mon parti feront campagne pour le parti bourgeois démocratique et pas pour un autre parti. La question qui se pose est plutôt de savoir comment les trois partis du centre, PLR, PDC et PBD, peuvent travailler ensemble. C’est très important pour moi que l’on puisse collaborer au lieu d’être dans une logique d’affrontement.
Le nouveau gouvernement laissait beaucoup d’espoir en termes de concordance et dès la répartition des départements, on nage dans le psychodrame. Allez-vous réussir à vous entendre?
Mais on s’entend bien. Je connais Simonetta Sommaruga depuis des années, nous avons toujours bien travaillé ensemble.
Mais on part sur des frustrations quand même…
On dit que le Département de justice et police est un département de seconde zone, qu’il est inintéressant, mais ce n’est pas vrai. C’est un département qui pose une multitude de questions de société, qui touchent au développement de notre pays. L’immigration, l’intégration, la taxation des bonus ou la question de l’aide au suicide ne sont pas des questions techniques ou juridiques, mais bien des questions sociales et politiques. Des thèmes habituellement chers au parti socialiste.
L’actualité, c’est la votation populaire sur le renvoi des criminels étrangers le 28 novembre. Combien de criminels étrangers la Suisse a-t-elle expulsés cette année?
On n’a pas de statistiques exactes, car ce sont les cantons qui renvoient les criminels étrangers, mais en moyenne entre 350 et 400 personnes sont expulsées chaque année.
Mais alors, pourquoi durcir la loi si l’on peut déjà les renvoyer?
Parce qu’il n’y a pas d’unité dans la façon dont les cantons renvoient leurs criminels étrangers. La situation est laissée à l’appréciation des autorités et des juges. Avec le contre-projet direct à l’initiative soutenu par le Conseil fédéral, on établit des critères qui limitent le pouvoir d’appréciation de tous les cantons et de tous les juges, mais qui respectent les principes essentiels de la Constitution fédérale et du droit international. Quels sont-ils?
Il s’agit de se fonder sur la gravité des infractions commises, par exemple l’assassinat, le viol et le meurtre, qui sont passibles dans tous les cas d’une peine d’un an de prison au minimum. Pour les autres infractions, c’est la sanction prononcée dans un cas particulier qui est déterminante: elle doit être de dix-huit mois au moins dans le cas d’une escroquerie ou d’infractions à l’aide sociale ou aux assurances et de deux ans au minimum pour d’autres infractions. La personne étrangère qui a commis des délits répétés mais moins graves amenant à des peines privatives de liberté de 720 jours au total, ou à des peines de 720 jours-amende, en l’espace de dix ans sera aussi renvoyée.
L’UDC estime que le contre-projet ne changera rien à la pratique actuelle, alors que son projet permettra de renvoyer environ 2000 délinquants par an.
Non, avec le contre-projet on estime à 700 ou 800 personnes les criminels qui seront renvoyés chaque année, soit deux fois plus qu’actuellement. L’initiative permettrait, c’est vrai, de renvoyer plus de monde. Mais de nombreuses personnes ayant commis des actes de peu de gravité seraient aussi expulsées, par exemple un jeune ayant commis un vol avec effraction qui n’a causé que des dommages minimes. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l’initiative entraînerait des conflits avec des dispositions de la Constitution et du droit international. Le contre-projet direct du Parlement est, lui, clair.
Mais pourquoi faut-il renvoyer les criminels étrangers?
Pour permettre aux différents groupes de population de vivre en bonne intelligence, il faut que chacun respecte la Constitution et l’ordre juridique suisses. Les criminels étrangers ne respectent pas nos règles et abusent de notre hospitalité.
Mais est-ce que cela règle vraiment le problème?
Ça ne règle pas le problème, mais cela joue un rôle de prévention. Les gens savent ainsi que s’ils ne respectent pas les règles, ils risquent l’expulsion.
Vous pensez que durcir la loi freinera la criminalité étrangère?
Oui, je le crois. Si vous savez que vous risquez l’expulsion, vous réfléchirez à deux fois avant de violer la loi.
C’est une vision optimiste…
Oui, je suis toujours optimiste! D’ailleurs, ce contre-projet ne fait pas que préciser les règles concernant le renvoi, mais inscrit également dans la Constitution des dispositions sur l’intégration. Avec une population étrangère aussi importante en Suisse, on a aussi l’obligation de l’intégrer. L’intégration n’est pas moins indispensable que les mesures répressives pour prévenir et combattre la criminalité.
Cela veut dire quoi, concrètement?
Cela signifie que les gens qui sont ici en Suisse ont l’obligation d’apprendre une langue nationale et de s’intégrer dans la société et dans le marché du travail. Il est de notre devoir de soutenir leurs efforts.
Mais le contre-projet prévoit-il des mesures pour faciliter l’intégration?
Les mesures concrètes se règleront dans la loi d’application, on ne peut pas inscrire cela dans la Constitution. Mais il existe déjà des projets concrets dans les cantons qu’il convient de soutenir et de renforcer.
Aujourd’hui, la Suisse est-elle trop laxiste vis-à-vis des criminels étrangers?
Non. Mais il y a actuellement trop de différence de pratiques entre les cantons. Le contre-projet permettra une harmonisation.
En France on expulse les Roms, en Allemagne le discours anti-immigrés de Thilo Sarrazin a fait beaucoup de bruit: l’Europe est-elle en train de devenir moins humaniste?
Non, je ne le crois pas et, surtout, je ne l’espère pas. Mais dans tous les pays d’Europe, même en Finlande ou en Suède, avec l’augmentation de l’immigration, l’intégration des populations étrangères pose des problèmes. Il y a une certaine crainte liée aux groupes ethniques différents.
Mais en Suisse comme en Europe, ce n’est pas le discours de l’intégration qui s’élève mais plutôt celui de la répression. Pourquoi?
Chacun doit faire face à des problèmes avec certains groupes d’étrangers, qui ne veulent pas faire beaucoup d’efforts pour s’intégrer. Mais ce n’est pas seulement la faute de ces groupes, c’est aussi la responsabilité de tous les gens qui vivent dans le pays d’encourager l’intégration. Et désormais, on ne sait souvent plus comment résoudre le problème sans davantage de répression.
D’un côté, vous êtes très stricte avec les criminels et les personnes en situation irrégulière et, de l’autre, vous laissez transparaître des émotions comme dans le cas de la famille Selimi à qui on a finalement attribué un permis de séjour.
Ce n’est pas le seul cas que l’on a réglé comme ça. Je sais qu’il y a des personnes qui ont de très bonnes raisons de rester ici, car leurs situations sont très graves. Il faut régler ces situations avec la clause dite des «cas de rigueur», mais on doit les considérer au cas par cas, comme pour M. Selimi dont on a réexaminé le dossier. C’est vrai que ces situations me touchent, car ce sont les vies de personnes qui sont bouleversées.
Ne devrait-on pas finalement régulariser la situation de tous ces gens qui sont là depuis dix ans, faire table rase et reprendre avec des critères clairs?
Non, ce n’est pas la solution. On l’a vu en Italie, en France et en Espagne, une amnistie ne résout pas les choses. On remplace des sans-papiers par d’autres. Il faut traiter ces situations au cas par cas et utiliser plus largement qu’aujourd’hui la clause des cas de rigueur, être un peu plus ouvert. On a transmis l’an dernier des directives aux cantons dans ce sens et l’on voit que cela fonctionne.
Derrière ces mesures d’expulsion des criminels, n’y a-t-il pas le mirage d’une société sans crime?
Je suis juriste, avocate, je ne crois pas aux mirages. Mais je crois aussi que pour les étrangers qui se comportent bien ici, il est important de renvoyer ceux qui violent nos lois et abusent de notre hospitalité. Je suis persuadée qu’ainsi on stigmatisera moins les étrangers en Suisse.
Dernière modification 06.10.2010