Monsieur le conseiller fédéral, vous allez quitter cette pièce dans deux semaines. Avec le tableau du bûcheron?
Non, il appartient à la Confédération. Mais ce n’est pas grave, j’ai le même à la maison. Une des sept petites versions peintes par Ferdinand Hodler.
Suis-je en danger dans ce bureau que vous dites maudit?
Non, vous ne risquez rien. Seuls les membres du gouvernement qui l’occupent sont en danger. C’est un huissier qui m’a raconté que le conseiller fédéral Friedrich avait dû démissionner quelques temps après son élection pour cause de maladie. Plus tard c’est Elisabeth Kopp qui a dû le quitter. Finalement Ruth Metzler et moi-même avons été évincés du Conseil fédéral. Il faudra que je conseille à mon successeur de changer de bureau.
Outre la malédiction, c’est plutôt à cause de vos mauvaises manières et de vos méthodes de gouvernance jugées discutables qu’on vous a exclu du Conseil fédéral…
On m’a souvent reproché d’être résolu et provocant, mais plus que cela c’est ma politique qui a dérangé. J’ai fait bouger trop de choses, mais jamais sans l’aval du Conseil fédéral.
Comment avez-vous vécu votre non-réélection mercredi?
J’étais dans mon bureau devant une télévision dont je découvrais l’existence après quatre ans. Elle était dans une armoire. Je ne suis pas très intéressé par l’électronique. Je ne sais même pas faire fonctionner un ordinateur. Par contre j’ai appris à utiliser un natel depuis que je suis au Conseil fédéral. Ces quatre ans au gouvernement n’auront pas servi à rien (rires).
Vous êtes triste de quitter tout cela?
Bien sûr que je suis triste. Surtout quand je vois la manière antidémocratique avec laquelle on m’a évincé. La coalition de centre-gauche a voulu faire payer à l’UDC son succès du 21 octobre.
Mais c’est le jeu politique. Ca vous a étonné?
Non. Je savais que nos adversaires étaient en train de chercher des autres candidatures UDC pour le gouvernement.
Pourtant on a eu l’impression mercredi que votre parti ne s’attendait absolument pas à ce qui lui arrivait. Il n’a pas su réagir tout de suite…
C’est vrai. Il n’a pas voulu me croire quand je l’ai averti de ce qui se tramait. J’ai toujours pensé que mes chances d’élection ne dépassaient pas 50%, mais dès que j’ai lu dimanche les déclarations de certains PDC j’ai tout de suite su que je ne serai pas réélu. J’ai téléphoné à Ueli Maurer pour l’en avertir. Lui-même a appelé Eveline Widmer-Schlumpf qui lui a promis qu’elle refuserait d’être élue. Mon parti croit encore ce que les politiciens disent, mais moi je sais qu’il n’y a jamais autant de mensonges qu’avant une élection du Conseil fédéral.
N’empêche que cette stratégie à porté ses fruits…
Je n’ai pas été réélu, mais le PDC n’a toujours pas réussi à regagner son deuxième siège et le PS et les Verts sont obligés de se réjouir d’avoir élu un membre de l’UDC. Quel succès pour le PS!
Avez-vous donné des conseils à Eveline Widmer-Schlumpf lorsque vous l’avez rencontrée avant sa prise de décision?
Non. Je l’ai juste avertie que si on l’avait élue c’était uniquement pour me nuire, et pas forcément à cause de ses qualités. Je lui ai aussi rappelé que si elle disait oui à ce mandat, l’UDC passait à l’opposition.
Pourquoi Madame Widmer-Schlumpf et Monsieur Schmid ne sont-ils pas dignes de représenter l’UDC au gouvernement?
Samuel Schmid et l’UDC grisonne de laquelle Eveline Widmer-Schlumpf est issue n’ont pas toujours soutenu notre parti dans les dossiers forts qui font notre politique. L’ouverture à l’Europe, la baisse des impôts ou la politique d’asile. Notre parti avait présenté un programme clair avant les élections. Par conséquent nous ne pouvons pas soutenir des représentants au gouvernement qui ne respectent pas notre ligne, ce qui est le cas de ces deux ministres.
Certains disent qu’en ne vous réélisant pas, le Parlement a floué la volonté du peuple. Vous le pensez aussi?
Bien sûr. Si l’UDC est devenu le plus grand parti de Suisse, c’est aussi à cause de mon travail au gouvernement. Ceux qui m’ont exclu n’ont qu’à sa gargariser de concordance et de respect des institutions, mais le peuple qui a suivi l’actualité n’est pas dupe. D'ailleurs, vendredi soir, l'UDC comptait déjà 5000 nouveaux adhérents et cela va continuer. Ce n’est que la première réaction du peuple.
L’affaire Roschacher-Blocher a-t-elle été déterminante dans votre éviction du gouvernement?
Elle a peut-être aidé. Mais la fronde et le complot pour m’éliminer durent depuis bien plus longtemps. Disons que c’était le coup final qu’on m’a porté.
N’est-ce pas finalement une bonne chose qu’on ne vous ait pas rééu, vous qui personnalisez à vous seuls un parti qui doit penser à la relève?
C’est vrai qu’on a personnalisé la politique de l’UDC avec moi, mais cela n’est qu’une conséquence de la campagne des autres partis. C’est eux qui ont dit les premiers qu’il ne fallait pas voter UDC pour se débarrasser de Christoph Blocher.
Reste qu’il n’y a pas d’autre Christoph Blocher dans votre parti et que vous n’êtes plus tout jeune…
Notre relève elle est là. Je peux vous citer Ueli Maurer, Christoph Mörgeli, Toni Brunner, Adrian Amstutz, Yvan Perrin et encore bien d’autres jeunes et mêmes jeunes femmes qui sont dans nos rangs.
Quel sera votre rôle dans l’opposition? Président de l’UDC, conseiller national, sponsor?
Nous n’avons pas encore défini tout cela. Il faut d’abord que nous rediscutions de notre stratégie avant de voir les moyens et les personnes qui l’accompagneront. Mais je peux vous dire que je serai très utile dans l’opposition car je connais la politique et désormais le gouvernement et l’administration de l’intérieur.
Vous avez déjà menacé de dénoncer des secrets internes à votre fonction. Par exemple…
Ce n’est pas tellement au Conseil fédéral qu’il y a des dysfonctionnements, celui-ci est déjà assez surveillé. Il n’en est par contre pas de même au Parlement. Je peux vous dire que je n’en ai pas fini avec la commission de gestion qui a dû enquêter sur l’affaire Roschacher.
Mais c’est du chantage…
Pas du tout. Tout ce que je pourrais dire ne sera pas une revanche mais un moyen d’améliorer et de faire changer les choses. Il est bien sûr clair que je ne parle pas ici de trahir le secret de fonction, que je respecterai même après le 31 décembre.
Qu’est-ce que ça signifie une UDC dans l’opposition?
Nous voulons avoir une influence et un rôle de Cerbère sur tous les thèmes qui peuvent impliquer des conflits d’intérêts entre le monde politique et le peuple.
Et concrètement vous le ferez comment?
Dans le Parlement et avec les armes du référendum ou de l’initiative. Et puis, je pense que par peur de notre pouvoir d’opposition, le gouvernement pourrait faire une politique plus à droite pour éviter d’entrer en conflit avec nous. Cela serait idéal. C’est ce qui s’est passé en Grande-Bretagne sous Tony Blair.
Pourtant vous n’arrêtez pas de dire que c’est désormais un gouvernement de centre gauche…
Bien sûr que c’est un gouvernement de centre gauche car le parti de droite qui récolte 29 % des voix du peuple n’y est plus représenté. Mais peut-être ce gouvernement de gauche fera une politique de droite parce qu’il a peur de l’opposition.
Deux UDC, deux radicaux, un PDC et deux socialistes c’est un centre gauche?
Faux. Il n’y a plus que trois partis au gouvernement car le groupe UDC et le parti aux Chambres ne reconnaît pas Madame Widmer-Schlumpf et Monsieur Schmid même s’ils sont membres du parti en général.
Votre bureau est couvert de photos de famille. Franchement, vous n’avez pas envie de prendre une tranquille retraite pour vous occuper d’elle?
Je pense être encore utile à la politique de ce pays. Et on peut soigner sa famille même lorsqu’on a peu de temps.
Cinq dernières questions
Vous avez déjà fixé la date de votre pot de départ?
Je vais bientôt organiser un cocktail d’au revoir. Quelque chose de sobre.
Pour vos collègues du Conseil fédéral?
Non. Pour le personnel de mon département. J’ai déjà réuni jeudi mes chefs d’office pour discuter avec eux. Pour préparer le passage de témoin. C’est normal de la part d’un chef sur le départ d’avoir ce genre de discussion et de rassurer ses employés.
Qu’est-ce qui va vous manquer dès le mois de janvier?
Le travail et les relations que j’entretenais avec mes collaborateurs. Vous savez, certains d’entre eux ont pleuré en apprenant que je devais partir. Cela m’a étonné, parce que je suis un chef très exigeant!
Et le pouvoir?
Non. Il ne faut pas surestimer le pouvoir d’un conseiller fédéral et de la fonction. J’en avais bien plus lorsque j’étais un entrepreneur. Et puis, on a beaucoup entendu parler de Blocher ces dernières années. On en entendra encore parler durant celles qui suivront. "Le lion est blessé, mais il n’est toujours pas mort." - m’a écrit un citoyen! Alors, on verra!
Quelle est votre plus grande fierté et le moment le plus difficile de ces quatre ans au gouvernement?
Mes fiertés sont d’avoir réussi à faire accepter les nouvelles lois sur l’asile et les étrangers à presque 70 % et d’avoir fait baisser de 250 millions les coûts de mon département tout en améliorant les prestations. Le moment le plus désagréable fut le 5 septembre, quand le Conseil fédéral a mis en doute ma probité en nommant un jurisconsulte dans l’affaire Roschacher. Le jour suivant cette encroyable suspicion s’est d'ailleurs relevée infondée.
Dernière modification 16.12.2007